Entretien avec Domenico Losurdo sur le liberalisme

A propos d’une contre-
histoire du libéralisme

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Image: Italian theorist and Marxist
philosopher Domenico Losurdo

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Le 17 mars 2012 Ross Wolfe et Pam Nogales de la Platypus Affiliated Society ont interrogé Domenico Losurdo sur son récent ouvrage Contre Histoire du libéralisme.

Ross Wolfe: Comment caractérisez-vous la contradiction  entre émancipation et désémancipation dans l’idéologie libérale? Et d’où vient précisément cette logique?

Domenico Losurdo: Je pense que la dialectique entre émancipation et désémancipation est un élément clé pour comprendre l’histoire du libéralisme. La lutte des classes dont parle Marx est précisément l’objet d’une confrontation entre ces forces.  Ce que je souligne c’est que parfois émancipation et désémancipation sont étroitement connectées l’un à l’autre. Evidemment on peut voir dans l’histoire du libéralisme un aspect d’émancipation. Par exemple, Locke polémique contre le pouvoir absolu du roi. Il défend la nécessité de la liberté des citoyens contre le pouvoir absolu de la monarchie. Mais d’un autre côté Locke est le champion en ce qui concerne la défense de l’esclavage. Et dans ce cas, il agit comme un représentant de la désémancipation. Dans mon livre je développe une comparaison entre Locke d’un côté et Bodin de l’autre. Bodin est, quant à lui, un défenseur de la monarchie absolue, mais en même temps un critique de l’esclavage et du colonialisme.

Esclavage photos de 1880

Esclavage photos de 1880

RW: Le contre-exemple de Bodin est intéressant. Il en appelle à l’église et à la monarchie, le premier et le second Etat, dans sa défense de l’humanité des esclaves contre le «pouvoir arbitraire de vie et de mort» que Locke défend pour le propriétaire, le maitre, sur son esclave.

DL: Oui, chez Locke nous voyons l’inverse. Alors qu’il critique la monarchie absolue, Locke représente l’émancipation, mais lorsqu’il célèbre ou légitime l’esclavage, Locke devient alors un représentant de la désémancipation. En menant le combat contre le contrôle de la monarchie absolue, Locke affirme en réalité le pouvoir total des propriétaires sur leur propriété, et cela inclus les esclaves. Dans ce cas on peut clairement voir l’enchevêtrement entre émancipation et désémancipation. Le propriétaire devient plus libre, mais sa plus grande liberté signifie une dégradation des conditions de l’esclavage en général. Continue reading