Le Corbusier sitting in front of the site for the Tsentrosoiuz Building in Moscow (March 1931)
The following letter, from the famed French architect Le Corbusier to the Soviet Commissar of Enlightenment Anatolii Lunacharskii, has up to this point never available in English translation:
13 mai 1932
Monsieur Lounatcharsky
Genève
Cher Monsieur,
Vous ne m’en voudrez pas de revenir sur l’entretien que nous avons eu à Genève samedi dernier concernant le Palais des Soviets.
Le Palais des S[oviets] est (dit le programme) le couronnement du Plan quinquennal. Qu’est le Plan quinquennal? La tentative la plus héroïque et véritablement majestueuse dans sa décision d’équiper la société moderne pour lui permettre de vivre harmonieusement. Au bout du Plan quinquennal, une idée. Quelle idée: rendre l’homme heureux. Comment atteindre, au milieu des résidus innombrables d’un premier cycle de civilisation machiniste, un état de pureté capable seul d’ouvrir une ère de bonheur? En n’hésitant pas à se tourner résolument vers l’avenir, en décidant d’être d’aujourd’hui, d’agir et de penser «aujourd’hui».
Ainsi a fait l’URSS. Du moins le croyons-nous, nous qui regardons de loin votre effort. Nous le regardons avec un tel intérêt, avec une telle soif de voir se réaliser quelque part sur la terre, cette aspiration universelle vers un état d’harmonie, qu’une fois en est née, partant, une mystique. Cette mystique: l’URSS. Poètes, artistes, sociologues, les jeunes gens et surtout ceux qui sont restés jeunes parmi ceux qui ont connu la vie, — tous ont admis que quelque part — en URSS — le destin avait permis que la chose fût. L’URSS se fera connaître un jour matériellement — par l’effet du Plan quinquennal. Mais, dès aujourd’hui, l’URSS a allumé sur le monde entier une lueur d’aurore. Des coeurs vrais sont tournés vers nous. Ça, c’est une victoire, — bien plus forte que celle qui suivra sur le plan matériel.
«L’architecte exprime la qualité d’esprit d’une époque.» Donc le Palais des Soviets révélera, dans la splendeur des proportions, la finalité des buts poursuivis chez vous depuis 18. On verra de quoi il s’agit. Le monde verra. Plus que cela, l’humanité trouvera sous les auspices de l’architecture un verbe exact, infrelatable, hors de toute cabale, de toute surenchère, de tout camouflage: le Palais, centre des institutions de l’URSS.
Vous avez fait connaître par le monde que ce palais serait l’expression de la masse anonyme qui vit l’époque présente.
Décision: comme la Société des Nations, le Palais des Soviets sera construit en Renaissance italienne…
La Renaissance italienne — comme les Romains et les Grecs — construisait en pierre. Si grands que fussent les rêves, la pierre fixait les limites de sa mise en oeuvre et de son obéissance aux lois de la pesanteur.
A la Renaissance, il y avait des princes lettrés qui dominaient les masses. Un gouffre séparait la fortune et le peuple. Un gouffre séparait le palais, logis des princes, de la maison du Peuple.
L’URSS, union des républiques soviétiques prolétariennes, dressera un palais qui sera hautain et hors le peuple.
Ne nous illusionnons pas dans la rhétorique: je sais parfaitement que le peuple — et le moujik aussi — trouve admirable les palais de rois et qu’il est de son goût d’avoir des frontons de temple sur le bois de son lit.
Mais la tête pensante des Républiques soviétiques doit-elle conduire ou flatter et cultiver des goûts prouvant la faiblesse humaine?
Nous attendons de l’URSS ce geste qui domine, élève et conduit, parce qu’il exprime le jugement le plus haut et le plus pur. Sinon? Sinon il n’y a plus d’URSS et de doctrine et de mystique et de tout…Il est EFFARANT de devoir être conduit à poser de telles questions.
En un mot pour conclure: il est effarant, angoissant, dramatique, pathétique que la décision actuelle de Moscou puisse commencer son oeuvre de désagrégation de l’opinion, de désenchantement, d’amère ironie. Et que le Plan quinquennal se couronne de ceci: «petitesse des hommes».
Cher Monsieur, dans mes propos, nulle amertume de candidat évincé. Non. Mais j’aime trop l’architecture et trop la Vérité pour désespérer déjà. Je voudrais aller parler à Moscou, expliquer, exprimer. Je voudrais aller dire ceci: l’effort innombrable, l’immense labeur anonyme ou signé de ces cent années de sciences, a créé sur le monde la grande collaboration. Il n’est un appoint technique: béton armé, fer, verre, chauffage, ventilation, acoustique, statique, dynamisme, il n’est un outil: machines de toutes natures — qui ne prouvent la grande collaboration.
L’architecture — en l’occurrence l’architecte — a pour mission de mettre en ordre cette armée de collaboration et par la vertu de la puissance créatrice de composition, par la puissance d’une intention élevée, elle peut exprimer le visage unique et magnifique de cette humanité créative. Ce visage serait-il un masque? Jamais, non jamais.
Me permettez-vous de parler objectivement? J’aimerais aller à Moscou.
Le 29 de ce mois, s’ouvre à Barcelone la session du Comité inter[nation]al pour la préparation du Congrès international d’Architecture qui se tiendra à Moscou en septembre.
Mon voyage d’Alger peut être remis (je viens de l’apprendre) à mai.
Je suis attendu à Rome pour deux conférences présidées par Mussolini et pour une entrevue avec lui. But: les Italiens me demandent d’aller arracher le Duce à l’erreur dans laquelle il s’enfonce en ordonnant de construire l’Italie en style Romain (Vous voyez combien le mal est partout.)
S’il vous était possible de préparer mon voyage à Moscou? Je vais même être indiscret: ne m’avez-vous pas dit que vous retourniez sous peu à Moscou? Alors ceci: s’il m’était possible de vous accompagner dans ce voyage, je pourrais vous entretenir de tout ce qui bouillonne en moi, relativement aux villes et aux maisons.
A Moscou, je pourrais, en dehors du Palais parler en public de la Ville Radieuse et expliquer où le progrès et une vue large nous ont conduits et exposer à votre pays qui est le seul ayant les institutions permettant la réalisation des programmes contemporains, le détail technique de la question:
la réforme architecturale
la journée solaire de 24 heures et son programme
les nouvelles techniques de la respiration exacte à l’intérieur des bâtiments (avec les résultats des récents essais du laboratoire de St-Gobain) (Problème décisif capital pour l’URSS)
les problèmes de l’économie du sol dans l’économie domestique
l’insonorisation des logis
l’acoustique
Là sont des vérités, des réalités, des choses à longue trajectoire qui sont dans l’esprit du Plan quinquennal — beaucoup plus que certaines méthodes restrictives, sans imagination et malthusiennes, auxquelles on a fait grand accueil en URSS.
Et si l’on veut, je pourrais parler de proportion, de beauté, de ces choses qui sont les impératifs de ma vie, car il n’y a pas de bonheur possible, sans l’esprit de qualité.
A Buenos Aires en 1929, j’ai fait dix conférences (un cycle) en quinze jours. Je veux bien le faire à Moscou.
Cher Monsieur, voici vingt ans que je vis comprimé. Paris m’a été jusqu’ici indispensable car Paris est le champ clos de la qualité. La vie sévère que j’y mène a porté des fruits. Ignorant en tout, je le sais, je connais toutefois beaucoup de choses de l’architecture et de l’urbanisme.
J’ai à Moscou des amis de coeur, des collègues dans lesquels j’ai grand espoir. J’ai à Moscou des ennemis, mais, je crois, beaucoup d’amis.
Je vous dirai encore ceci: à Moscou j’ai toujours défendu M. Joltowsky qui est un vrai architecte, sensible et plein de talent. C’est cet arrêt inattendu sur une forme historique de l’architecture qui a créé nos divergences. Mais je parlerais avec lui d’architecture, infiniment mieux qu’avec la plupart de mes collègues occidentaux qui se dénomment «architectes modernes».
Je termine : entièrement désintéressé, passionné d’architecture, à l’âge de maturité où un homme doit donner, j’offre ma collaboration en toute loyauté et sans espoirs de gains.
Voilà.
Tout cela était long à dire. Voulez-vous me pardonner d’avoir retenu si longtemps votre attention.
V[otre] bien dévoué
— Le Corbusier
Here, for the first time, is a full English translation of the letter, provided courtesy of my father, Michael Wolfe, and his friend, Michael Vogel:
May 13th, 1932
Mr. Lunacharskii
Geneva
Dear sir,
You will excuse me for returning to the discussion we had in Geneva last Saturday concerning the Palace of the Soviets.
The Palace of the S[oviets] (hereafter referred to as the “program”) is the crowning achievement of the five-year Plan. What is the five-year Plan? The most historic and undeniably majestic attempt in its decision to equip modern society in order to enable it to live harmoniously. At the end of the five-year Plan, an idea. What idea? To make mankind happy. How is it possible, amid the innumerable residues of the initial cycle of machinistic civilization, to achieve that state of purity which alone is capable of ushering in an era of happiness? By not hesitating to turn resolutely toward the future, by deciding to be contemporary, to act and think “today.”
This is what the USSR has done. At least this is what we believe, we who observe your effort from afar. We observe it with such an interest, with such a thirst to see achieved, somewhere on Earth, this universal aspiration for a state of harmony, from which is consequently born a mystique. This mystique — the USSR. Poets, artists, sociologists, young people, and above all, those who have remained young among those who have experienced life — all have admitted that somewhere — in the USSR — destiny has allowed the thing to be. One day, the USSR will make a name for itself materially — through the effect of the five-year Plan. Yet the USSR has already illuminated the entire world with a glimmer of dawn, of a rising aurora. The hearts that are true have turned toward us. That in itself is a victory, one that is far greater than the one that will follow in material terms.
“The architect expresses the spiritual quality of an era.” Thus, in the splendor of its proportions, the Palace of the Soviets will reveal the finality of the goals pursued in your country since 1918. We will see what this is all about. The world shall see. But even further, humanity will find under the auspices of architecture a precise, uncorruptible verb, devoid of cabalistic machination [cabale], of exaggeration, of camouflage: the Palace, center of the institutions of the USSR.
You have made known throughout the world that this palace is to be the expression of the anonymous mass that is witnessing current events today. Decision: like the headquarters of the League of Nations, the Palace of the Soviets will be built in the Italian Renaissance style…
The Italian Renaissance — like the Romans and the Greeks — built with stone. However grandiose the dreams, stone set the limits for its realization, in compliance with the laws of gravity.
During the Renaissance, there were literate princes who dominated the masses. There was a chasm separating the wealth from the people. A gulf separated the palace, the dwelling-place of princes, from the house of the people.
The USSR, a union of proletarian soviet republics, shall erect a palace that will be haughty and separate from the people.
Let us not be blinded by rhetoric: I know perfectly well that the people — as well as the muzhik — admire regal palaces, and that it is their taste to have the headboards of their beds engraved with temple façades.
Should the leadership of the Soviet Republics, vehiculate or flatter and cultivate tastes that attest to human frailty?
From the USSR, we expect the type of sweeping gesture that dominates, elevates, and conveys, for such a gesture is a reflection of the highest and purest discernment. If not? Well then there is no longer such a thing as the USSR, or its doctrine, or its mystique, or anything else…the mere notion of such a thing is INCONCEIVABLE.
In other words — inconceivable, tormenting, dramatic, and indeed saddening [pathetique] that with the actual decision Moscow is now making, it may commence its work of disaggregating opinion, disenchantment, bitter irony. And for the five-year Plan to be thus crowned: only by “the pettiness of men.”
Dear sir, my opinions do not reflect the bitterness of a defeated candidate. No. But I love architecture and the Truth too much to already have lost all hope. I would like to go to Moscow to talk, to explain things, and to express all this. I would like to go to say this: The immeasureable effort, the immense labor of so many persons — some known, some nameless — in the sciences these past hundred years has created all over the world the great collaboration. There is no method of construction — using reinforced concrete, iron, glass, heating systems, ventilation systems, acoustics, or statics and dynamic elements; there’s no tool or any sort of machine that doesn’t reflect the existence of this great collaboration.
Architecture — and in this case the architect — must strive to discipline this army of collaborators, and by virtue of the creative power assemble all these elements. By the power of its lofty aims, it can express the unique and magnificent face of all mankind’s creativity. Is this face a mask? Never. No, never.
How can I put it to you any more directly? I would like to go to Moscow.
On the 29th of this month, in Barcelona, there begins a meeting of the of international committee responsible for planning the upcoming International Congress of Modern Architects [CIAM] that will be held in Moscow in September.
My trip from Algiers can be put off (as I’ve come to learn) until May.
I am expected in Rome for two conferences presided over by Mussolini, and for a meeting with him. Its aim: the Italians are asking me to save il Duce from the blunder into which he has driven himself by ordering the building of Italy in the Roman style. (You see how much the evil is everywhere).
Is it still possible for you to set up my trip to Moscow? I’m even going to be indiscreet: didn’t you just tell me that you would be returning to Moscow soon? Consider this: if I could accompany you on this trip I would explain to you everything that is broiling inside me, as concerns towns and houses.
In Moscow, I could — outside the Palace — publicly speak of the Radiant City, and explain where progress and the grand view have led us and shown to your country, which is the only one possessing the institutions that permit the realization of modernist programs. The technical detail of the questions concerning:
architectural reform
the 24-hour solar day and its program
the new techniques of exact respiration inside buildings (with the recent laboratory experiments at St.-Gobain) (the most pressing problem facing the USSR)
the problems which agriculture poses for the domestic economy
the soundproofing of homes
acoustics
Here are the truths, realities, the long-range items that are informed by the spirit of the five-year Plan — much more than certain restrictive methods, Malthusian and lacking imagination, which have been so warmly embraced in the USSR.
And if anyone wants, I could speak of proportion, of beauty, those things that are the driving forces of my life, because happiness is not possible without a sense of quality.
In Buenos Aires in 1929, I presented at ten conferences (one after the other) in fifteen days. I really want to do the same in Moscow.
Dear sir, I’ve lived a confined life these last twenty years. Until now, I have not been able do without Paris, because Paris is the only place that holds this quality. The austere life I’ve lived has borne its fruits. Though I can admit ignorance to everything else, I have always known a great deal about architecture and urbanism.
I have some close friends in Moscow, colleagues for whom I have great hope. I have enemies in Moscow, but I believe also many friends.
I will tell you this again: in Moscow I have always stood up for M. Zholtovskii, who is a true architect, sensitive and quite talented. It is this unexpected stopover in an historical form of architecture that has caused us to part ways. But I would much rather talk with him about architecture than with the majority of my Western colleagues who call themselves “modern architects.”
Let me finish: entirely disinterested and passionate about architecture, at an age in adult life when a man must give, I offer you my assistance with completely loyalty and no hope of gain. There you have it.
It took a long time to say all this. Please pardon me for taking so much of your time and attention.
Yours truly,
Le Corbusier
With lightning telegrams:
Like this:
Like Loading...